OEUVRES
CHRESTIENNES,
DE FEU DAME GABRIEL-
LE DE COIGNARD.
Vefve à feu Monsieur de Mansencal, Sieur
de Miremont, President en la Cour
de Parlement de Tholose.

A TOURNON,
Pour JAQUES FAURE
Libraire en Avignon.
M. D. XCV.

AVEC PERMISSION

Principes d'édition

L'Imitation de la victoire de Judith par Gabrielle de Coignard §

Édition de Bérénice Mauguil-Bellucci,
étudiante à Paris 3 (Sorbonne-Nouvelle)
Tracail de mémoire de Master 2 sous la direction de Nathalie Dauvois
Avec l'aide de Chiara Mainardi et Paul Gaillardon


L'Imitation de la victoire de Judith est paru dans les Oeuvres Chrestiennes de Gabrielles de Coignard en 1594. Nous retranscrivons l'édition de 1595 en raison des nombreuses coquilles que comporte la première édition, qui a déjà fait l'objet d'une réédition moderne par Collette H. Winn en 1995.


Notre exemplaire de référence est donc le suivant:
Gabrielle de Coignard, Oeuvres chrestiennes, Tournon, Jacques Faure, 1595.

Collation : in-12°, ff. 120, A-K12, [p. 3-24, 2, 16-17, 28-239]

L'Imitation à la victoire de Judith occupe les pages 109 à 156.

Notre exemplaire de référence étant celui de l'Arsenal :
Exemplaire Arsenal : Arsenal – 8-BL-10198
Reliure rigide en parchemin. Dorures fleuries sur la tranche et carré de cuir rouge portant l'inscription « OEUVR || DE ME || COIGNA || 1595 ».

Nous avons retranscrit l'exemplaire de l'Arsenal (8-BL-10198) selon les principes suivants, communs à l’édition électronique et à l’édition papier, et conforme aux normes de transcription des Bibliothèques Virtuelles Humanistes (BVH).


Nous avons respecté :
-les alinéas de l'original
-l'absence d'adjonction de guillemets ou de tirets
-les majuscules, les graphies (sauf coquilles évidentes) et la ponctuation de l’original
-les accents de l'original

Cependant, nous avons :
-différencié i/j et u/v mais non a/à, ou/où
-résolu les abréviations signalées par les tildes ã, õ et ß (« courõne », « couronne »)
-agglutiné les mots séparés (« a fin », « afin » ; mal' heureux », « malheureux » ; « long temps », « longtemps »)
-séparé les mots agglutinés (« treshumble », « tres humble ») et notamment par l'usage d'apostrophes (« nen », « n'en »)
-corrigé les coquilles typographiques évidentes
-numéroté les vers

Nous avons balisé :
-les noms de personnages avec "persName", les noms de lieux avec "geogName"
-les variantes entre les éditions de 1594 et 1595 acec les balises "app", "lem", "rdg"
-Renvoyé aux définisions du DMF (ATLIF) quand nous l'avons jugé nécessaire
-Renvoyé au texte source du Livre de Judith dans notre édition de référence de la Vulgate Clémentine qui est la suivante : Biblia Sacra Vulgatæ editionis, Sixti V Pontificis Maximi jussu recognita et edita, Rome, Typographus Vaticanus, 1598 et accessible en ligne sur http://vulsearch.sourceforge.net/html/Jdt.html

IMITATION DE LA
victoire de Judith. §

{p. 109}
Soubs ta saincte faveur je veux prendre carriere,
Voulant chanter le los d'une belle guerriere,
Estoille de son temps, qui encore reluit
D'un esclat flamboyant sur nostre obscure nuict.
5 Toy par qui sont tousjours en divers tons unies,
De ce grand univers les hautes harmonies,
Accorde mon esprit aux celestes accords,
Donne moy donc la voix, que je pousse dehors
Dix mille, & mille vers, saints courriers de ta gloire,
10 Chantant avec Judich l'hymne de ta victoire.
Tu t'es voulu servir de son bras delicat,
Toy qui pouvois darder un foudroyant esclat
Sur le chef ennemy, & sur ses fieres trouppes :
Ou bien faire abismer les plus hautaines crouppes
15 Des rochers Palestins sur ces cruels Payens,
{p. 110}
Ayant pour te venger tant de divers moyens.
Mais qui pourra sonder tes conseils admirables,
Et de ton sainct pouvoir les faits incomparables ?
Ainsi te plait Seigneur de faire executer
20 Tes justes jugemens que l'on doit redoubter.
Helas ! qui eust pensé de voir si grand deffaicte
Sur les Assyriens par une femmelette ?
O combien ta bonté escoute volontiers,
Non les ambitieux, les felons, & meurtriers :
25 Mais les humbles de cœur dont les ames dolentes
Gemissent apres toy, comme oüailles beellantes
Apres leur bon pasteur, qui aux deserts profonds
Les cerche nuict, & jour, par pleines, & par monts.
Race du sainct Jacob, jadis tant caressée,
30 Estant en divers lieux du monde dispersée,
Tes enfans possedoyent les murs Bethuliens,
Et plusieurs grans pays fertilles de tous biens,
Quand le tyran cruel, ce Roy de Babylonne,
Ce superbe guerrier qui les mortels estonne
35 Eust deffait Arphaxat, & son osts redoubté.
Ayant avec le fer cent, & cent Roys dompté :
Il ne se contenta d'avoir rougi les plaines
Du sang bouillant, & chaut, des Medois Capitaines :
Mais il voulut planter d'un bras audacieux,
40 Son sceptre au bout du monde, & sa couronne aux cieux.
Quoy (dit cest orgueilleux) je veux avoir la terre,
La tenant dans la main tout ainsi qu'une pierre,
Que l'archer tient au poing, la faisant haut voler,
Et puis pour son esbat la fait en bas rouller.
45 Comme on voit les forest de fueilles descoiffées,
Accusans d'Aquilon les cruelles bouffées :
Ou la tranchante faux despoüiller les verds prez
De leur plaisant esmail paravant diaprez,
{p. 111}
Ainsi je veux raser les villes, & provinces,
50 Mettant dessoubs mes pieds, & les Roys, & les Princes,
A fin que moy tout seul en ces terrestres lieux
Sois nommé de chascun le plus puissant des Dieux.
Si le ciel n'empeschoit le dessein de mon ame,
Je monterois la haut pour luy ravir sa flamme,
55 J'arresterois le char du soleil tournoyant,
S'il vouloit resister j'irois tout foudroyant.
Propos d'un orgueilleux, qui forge dans sa teste
Un triomphe menteur, une vaine conqueste
Des royaumes en l'air, des sceptres en l'esprit,
60 Et qui dans son penser des chimeres escript.
Mais celuy qui cognoit les choses plus mussees
Renverse les desseins de ces folles pensées :
Ce grand Dieu qui voit tout en toute eternité
Se joüe des humains, & de leur vanité,
65 Les voyant travailler d'une effrontée audace,
D'un desir sans repos de se faire une trace,
Un chemin eslevé au monde apparoissant,
En mille, & mille honneurs de jour en jour croissant :
Se faire eterniser de plus belles louanges,
70 Vouloir estre vanté des nations estranges,
Et comme les Geans entasser les hauts monts
Pour cognoistre des cieux les secrets plus profonds.
Tout l'or qui est caché aux terrestres entrailles,
Ny celuy qu'on façonne aux Royalles medailles,
75 Ny les gemmeux thresors d'Orient precieux,
Ne peuvent assouvir un cœur ambitieux.
Ainsi ce fier tyran avoit l'ame soufflée
Comme les flots bruyans de la marine enflée,
Voulant ensanglanter tout ce grand Univers,
80 Commandant sur la terre, & sur les larges mers.
Nabuchodonozor triomphant dans Ninive,
{p. 112}
Tenoit de plusieurs Roys la puissance captive,
Qui au clin de ses yeux cognoissoient son vouloir,
Estans executeurs de son cruel pouvoir.
85 Holefernes sur tous se faisoit apparoistre,
Comme le plus aymé, & chery de son maistre,
L'ayant seul eslevé lieutenant general
Sur son osts infiny qui faisoit tant de mal.
Il avoit bien monstré en plusieurs grands deffaictes
90 Comme ses mains estoient des guerrieres parfaictes,
Surprenant l'ennemy, emblant une cité,
Vengeant sur le vaincu son courroux despité,
Couvrant tout le pays, valées, monts, & landes
D'escadrons belliqueux, & furieuses bandes,
95 Inhumain, ressemblant aux tigres enragez,
Qui s'enyvrent du sang des troupeaux esgorgez.
Il se glorifioit en son grand exercite,
En ses forts chariots, & chevaliers d'eslite,
Destruisant les rampars jusqu'alors indomptez,
100 Genant les habitans de mille cruautez.
Tous les Princes craintifs au bruit de son armée,
Perdoient comme vaincus l'audace accoustumée,
Requerans humblement sa Royalle pitié,
Ne desirans rien plus, qu'avoir son amitié,
105 Se mettans volontiers en esclave servage,
Plustost que soustenir le conflit, & carnage.
O cœurs trop avillis, n'ayans rien de vertu,
Mais pourquoy n'avez vous en mourant combattu,
Deffendant vostre bien, vostre honneur, et patrie,
110 Avec la liberté libres perdans la vie ?
Le cœur tout revestu d'un desir genereux
Ayme plustost la mort que vivre malheureux :
Car ceux qui paravant estoient puissants, & braves
Mouroyent dessoubs le joug miserables esclaves,
{p. 113}
115 Endurans la prison souffreteuse, & encor
Adoroient le tyrant Nabuchodonozor,
Qui avoit commandé à ces barbare Prince
D'exterminer les Dieux de toutes les Provinces,
A fin que luy tout seul fut adoré de tous
120 Comme Dieu immortel, de cœur, & de genoux.
Ainsi son lieutenant suivant son ordonnance
Renversoit l'univers d'une fiere puissance,
Il conquist le pays de Syrie & Sabal,
La Mesopotamie, & tout le principal
Judith, 3, 1
125 Qu'il trouva devant luy arrestant ses armées,
Aux plaines de Gaba, & terres Idumées.
Judith, 3, 14
Pour rassembler les gens, & reposer son cours,
Il se voulut camper en ce lieu trente jours.
Judith, 3, 15
Tandis de toutes pars la viste renommée,
Judith, 4, 1
130 Par qui toute nouvelle en ce monde est semée,
Les aesles aux costez à cent bouches criants,
De mille nouveautés ses hauts cris variant,
Alloit deça dela par la terre habitable
Porter l'horrible bruit de la guerre effroyable :
135 Combien Holofernes avoit de nations,
Comme il estoit le chef de ces grands legions,
Le degast par luy fait bruslant les forteresses,
Menant les Roys captifs, saccageant leurs richesses,
Et toute nation de ce grand rond sçavoient1
140 L'exercite infiny que ce cruel avoit.
La renommée ayant si haut chanté sa gloire,
Que mesme les enfers bruyoient de sa victoire,
Les doemons attachez aux cachots infernaux
S'esjouyssoient d'ouyr commettre tant de maux :
145 Si joye peut entrer en ces lieux de tenebres,
Où n'y a que douleurs, & complainctes funebres :
Leur prince malheureux, instigateur malin,
{p. 114}
Qui guerdonne les siens de supplices sans fin,
Poussoit ces fiers payens à tous pechez enormes,
150 Pour mieux les bourreller quand les hideuses formes
Auroient quitté le corps plein de meschanceté,
Pour s'abismer là bas au puis de cruauté.
Il apprestoit desja ces feux, glaives, & geines,
Cris, pleurs, gemissements, regrets, sanglots, & peines,
155 Horreur, frayeur, & mort, & mille autres tourments,
Que les esprits damnez souffrent à tous moments.
Cependant ce tyran qui tout le monde effroye
Faisoit couler le sang de mainte, & mainte playe,
Allant par tous les coings du monde universel,
160 Jusques dans le pays des enfans d'Israel
Habitans de Juda, terre delicieuse,
Que le Dieu tout puissant leur rendoit fructueuse,
Vivans heureusement en liesse d'esprit,
Jouissant du repos sans tumulte, & sans bruit.
165 Car le Prince de paix apres maintes raverses,
Apres mille travaux, & fortunes diverses,
Leur donnoit ce bon temps pour le servir tousjours
En paix, & liberté, comme leur sainct secours.
L'esté faisoit jaunir leur fertille restouble,
170 Les grains leur rapportoient plus de cent fois au double :
Mille fruits delicats, sans soing des mesnagers
Croissoient abondamment dans leurs plaisans vergers,
Bois, plantes, fleurs, & prés, fontaines, & rivieres
Decoroient ces manoirs de graces singulieres :
175 L'automne produisoit des raisins si espais,
Que deux hommes faisoient d'une grappe leur faix :
Ils cueilloient leurs doux fruit au retour des années,
Obeissans à Dieu, & à ses loix données :
Lorsque l'estrange bruit de ce cruel vainqueur
180 Leur gela tout le sang d'une effroyable peur,
Judith, 4, 2 {p. 115}
Craignant qu'il ne destruit de l'eternel le templs,
Comme il avoit à ceux, qui leur servoient d'exemple,
Ayans deliberé de faire leurs effors,
Et souffrir la rigeur de mille, & mille morts,
185 Plustost qu'abandonner, pour crainte de la vie,
La maison du seigneur devotement servie :
Ou le peuple assemblé en tout temps, & saisons
Avecques pieté offroit ses oraisons,
Faisant fumer l'autel d'infinis sacrifices,
190 D'agnaux, bœufs, & moutons, chevreaux, boucqs, & genisses,
Appaisant doucement le grand Dieu courroucé,
Lorsque par leurs pechez ils avoient offencé.
Ainsi tous resolus d'une force virile,
Ils faisoient leur devoir de remparer leur ville,
195 D'enfermer leurs faux-bourgs, de fossez & rempars :
Judith, 4, 4
Munir leurs garnisons de vivres, & soldats,
Afin de soustenir ceste horrible tempeste,
Qui ja de toutes pars grondoit dessus leur teste.
Le prestre Heliachin grand sacrificateur
Judith, 4, 5
200 Advertit ses amis de ce prochain malheur,
Les priant de tenir les voies bien fermées,
Par ou devoient passer ces puissantes armées,
Deffendant le chemin de Tham, & d'Esdrelon,
Pour arrester le cours du sairape felon.
205 Le peuple obeissant d'un valeureux courage
A l'execution de ce triste message,
N'avoit pas le loisir presque de mesnager,
Pour enfermer les grains propres à leur manger.
Quand le cruel payen avec sa trouppe fiere
210 Entre dans Israël d'une fureur guerriere.
O soleil clair, & net, cache tes rais dorez,
Pour ne veoir lers malheurs de ces lieux esplorez
Astre qui de la nuict blanchis les noires ombres,
{p. 116}
Musse ton beau croissant aux antres les plus sombres,
215 Ne vueille esclarcir ses barbares guerriers,
Quand les coups inhumains de leurs glaives meurtriers
Tranchans aux innocens la vie, & la parole,
Parmy le sang bouillant la pauvre ame s'envole.
Ny les pleurs des vieillards tramblottans, & chenus,
220 Embrassans les genoux des soldats incognus,
Ny le cris douloureux des femmes, & pucelles,
Qui pouvoient attendrir les ames plus cruelles,
N'eurent onc le pouvoir de flechir à pitié,
Ces cœurs envenimez despourveus d'amitié.
225 Bien-heureux son ceux la dont la fuitte legere
Les sauves du danger de la force estrangere.
Qui a veu par les champs les lievres pourchassez,
D'un pas demy volant bondir les hauts fossez,
Et s'ils oyent les vent qui les feuilles remue,
230 Il leur semble desja que le levrier les tue,
Mais s'ils peuvent gaigner leurs gistes destournez,
Les chiens tous halletans demeurent estonnez.
Ainsi les assaillis abandonnent la pleine,
Se sauvant dans les murs de la cité prochaine,
235 Où le peuple assemblé pleurant, & gemissant,
Implore le secours du haut Dieu tout puissant,
Judith, 4, 8
Humiliant leur cœur en jeusnes, & prieres,
Couvrant le sainct Autel de leurs poignantes hayres,
Criant tous d'une voix : ô pasteur d'Israel,
240 Regarde tes vassaux en ce peril mortel,
Ne vueilles destourner ta veuë pitoyable
De ton peuple affligé, captif, & miserable,
Qui ne veut ses meffaits, Seigneur, dissimuler :
Car aussi devant toy, qui se pourroit celer ?
245 Tu sçais tout, tu vois tout, nos actions plus sombres,
Que nous pensons cacher en ces mondaines ombres,
{p. 117}
Sont claires devant toy, & mesmes nos pensers,
Avant qu'estre conceux, par toy sont descouvers.
Cerche quelque autre fleau, cerche quelque autre foudre,
250 Pour chastier les tiens, & les reduire en poudre.
Ne vueilles employer ceux qui se vanteront
De nous avoir deffaits, & qui triompheront
De nos plus chers enfans, les menant en servage,
Comme bœufs accouplez faire leur labourage.
255 Ne permets que nos biens avec peine gaignez,
Et nos riches tresors si longtemps espargnez,
Soient ores le butin de ces noires harpyes.
Helas ! pourrions nous veoir que nos cheres parties,
Nos fidelles moities, que nous aymons si fort,
260 O cruelle douleur plus griefue que la mort,
Soient ores le butin du scythe, & du chaldée,
Honnissant leur honneur, & chasteté gardée ?
Seigneur ayes pitié de ta pauvre cité,
Où tu es reveré en toute humilité :
265 Ne baille ses beaux murs à la gent idolatre,
Qui fera tes autels piteusement abbattre,
Faisant mettre en oubly ton sainct commandement,
Gardé de pere à fils en dernier testament.
A ce plainct douloureux la lampe journalliere,
270 Qui roüe dans le ciel sa plaisante lumiere,
Cacha son clair flambeau, desrobant sa lueur,
Pour des fils de Jacob tesmoigner la douleur.
L'air espais se couvrit d'une couleur de suye,
Le ciel triste pleura quelques larmes de pluye,
275 Monstrant que l'eternel avoit compassion
De ceux qui se mettoyent soubs sa protection.
En ce temps esplouré l'on n'oyoit rien que larmes,
Qu'un tumulte bruyant des courageux gendarmes
Armans leurs boulevars sans craindre le travail,
{p. 118}
280 Ressemblans le pasteur qui ferme son bercail,
Craignant le loup cruel, qui d'une fine ruse
Costoye l'escadron de sa bande camuse.
Le prestre Heliachin plein de grande vertu
Consoloit doucement tout ce peuple abbatu,
285 Citoyen bien aymez vos douleurs sont les miennes,
Vos larmes sont mes pleurs, vos travaux sont mes peines
Disoit ce bon vieillard, helas, j'ay dedans moy
La peur que vous avez, la tristesse, & l'esmoy.
Le temps est ja venu, que le Dieu de nos peres
290 Veut corriger les siens par ses verges severes,
Mais ne perdez espoir que vos souspirs oeslez
Iront d'un humble vol aux manoirs estoillez,
Devant le trosne sainct de celuy qui commandement
Les espritz Stygieux, & l'infernale bande.
295 De son simple vouloir il peut tout renverser,
Et en moins d'un instant ce grand osts terrasser.
L'Ange dans une nuict en esgorgea cent mille,
Ouvrage du haut Dieu à qui tout est facile,
Qui monstre son scavoir, comme un bon Medecin
300 Voyant le patient travailler à sa fin,
A son extremité il ordonne un remede
Extreme, & non cogneu qui la nature excede.
Moyse l'esprouva qui plein de vive foy
Trimpha d'Amalec, & de tout son arroy,
305 Ce ne fut point l'effort d'une armée puissante,
Ny du fer outrageux la lame reluisante.
Mais priant humblement sans en estre lassez,
Ils furent du Seigneur promptement exaucez.
Pendant Heliachin par mainte remonstrance
310 Renforce les craintifs, & leur donne esperance :
Ce fleau de l'Univers s'approche peu a peu,
Plantant ses estendars pres du rempart esleu.
{p. 119}
Quand il fut edverty que la cité guerriere
Judith, 5, 1
Ne vouloit obeyr à sa volonté fiere,
315 Apprestant ses harnois à fin de resister,
Et son cours inhumain bravement arrester :
Lors il fut embrasé de furieuse rage,
Judith, 5, 2
Le courroux desdaigneux boüillant en son courage,
Faisant venir à soy les chefs qui regissoient,
320 Qui devant luy le chef humblement abboissoient,
Disant, aprenez moy de quelle fole raçe
Judith, 5, 3
Est ce peuple chetif, qui monstre son audace,
Quelles sont leurs citez, leur forces, & pouvoir,
Qui commande sur eux, on n'en peut rien scavoir.
325 Ils sont bien malheureux qu'il ne se soient faitz sages,
Ayans veu si pres d'eux tant d'horribles carnages,
Tout ce pais voisin cherche mon amitié,
Et moy doux, & benin les reçois à pitié,
Ce fort nous reste seul qui esleve les cornes,
330 Cuidant mettre orgueilleux à mes triompes bornes ?
On s'espouvantera d'ouyr la mort cruelle
Dont je veux chastier ceste engeance rebelle,
Point ne les sauveront ces grands rochers hautains,
De tomber accablez soubs mes puissantes mains.
335 Ainsi ce Roy felon bruyoit comm'un tonnerre,
Qui foudroye les montz, & crevasse la terre,
Agité de fureur ainsi qu'un fier taureau,
Quand le dogue mordant luy deschire la peau.
Nul n'osoit respirer le voyant en colere,
340 Tout le monde le craint, l'honnore, & le revere :
Achior seul osa humblement luy parler,
Judith, 5, 5
Ne voulant du grand Dieu les merveilles celer.
Prince tres redoubté puisque tu nous commandes
De dire verité, il faut que tu entendes
345 Le tige des Hebrieux dans ceste ville enclos,
{p. 120}
Qui osoit mespriser l'honneur de ton grand los.
Ce peuple est habitant du pais de Judée,
Ayant prins son estoc de la raçe Chaldée,
Abram, Isac, Jacob sont leur predecesseurs
Judith, 5, 6
350 Et plusieurs braves Roys de vertu possesseurs.
Ils sont nobles, & francz, aymans fort leur patrie ;
Cerchans la vertite, fuyans idolatrie.
En Mesopotamie ils ont vescu longtemps,
Judith, 5, 7
Ne voulans point servir le Dieu des Chaldeens,
355 Honnorans un seul Dieu qui a faict toutes choses,
Judith, 5, 9
Et les tient en sa main providemment encloses,
Donnant lumiere au jour, voilant l'obscure nuict,
Faisant naistre les biens que la terre produict,
Pere de tous vivans, conservateur du monde,
360 Eternel, infiny qui voit, cognoit, & sonde
Tout ce qui est passé, present, & à venir,
Pitoyable, clement, puissant pour soustenir
Ceux qui d'un cœur entier embrassent son service,
Offrans à son autel un humble sacrifice,
365 Comme ce peuple icy dont il à prins le soing
Les conduisans tousjours, ores pres, ores loing ;
Lors qu'ils estoyent captifs en la terre d'Egypte,
Il fit multiplier leur nation petite,
Et comme Pharaon les grevoit sans raison,
Judith, 5, 1O
370 Ils crioyent au Seigneur qu'ouyt leur oraison,
Affligeant le pais de playes infinies,
Payant l'Egyptien de ses grands tyrannies.
Ores en rouge sang change leurs claires eaux :
Ou d'esclat foudroyant assomme leurs troupeaux :
375 Il remplit leurs maisons de grenoilles puantes :
Il envoye les pous, & les guespes mordantes :
Les tenebres, la mort, sur tous les premiers nez :
Mais nonobstant ces maux il furent obstinez.
{p. 121}
Ne voulans point laisser leurs mensongers oracles,
380 Ny croire à l'eternel faisant tant de miracles,
Qui d'un bras triomphant delivra ses amis,
Et les osta de nuict des mains des ennemis,
Leur faisant traverser les vagues courroussées,
Judith, 5, 12
Comme par un sentier de pierres entassées,
385 Affermissant les eaux dessoubs leurs pas craintifs,
Conduisant seurement ces pauvres fugitifs.
Bienque ce Roy tyran courut apres leurs traces,
Leur pressant le talon avec grandes menaces :
Mais pensant arpenter ce chemin tout nouveau,
390 Que Dieu avoit tracé pour sauver son troupeau,
Ils furent engloutis du tourbillon des ondes,
Judith, 5, 13
Renversez, & noyez, aux abismes profondes.
Voila ce qui addvint à ce Prince pervers,
Cependant qu'Israel print logis aux desers
Judith, 5, 14
395 Du haut mont de Syna, où les sources ameres
Furent en un instant pour eux douces, & claires,
Judith, 5, 15
Sans prendre aucun soucy de cercher leur manger,
Recevant des hauts cieux un pain doux, & leger,
Que Dieu leur envoya comme rosée tendre,
400 Qui delicatement venoit sur eux descendre.
De nuict pour les guider un brandon apparent,
Par les ombres un jour leur alloit esclairant,
Le jour le doux esclat d'un nuage candide
Tesmoignoit la faveur de leur celeste guide.
405 Ils ont tousjours vaincu sans porter le harnois,
Judith, 5, 16
Ny mesme descocher un traict de leur carquois.
Car en tous les païs qu'ils ont voulu conquerre,
Leur Dieu a bataillé faisant pour eux la guerre,
Bref ils ont surmonté sept fortes nations,
410 Et tous ceux qui avoyent â eux contentions.
Mais avant que passer ton armée invincible,
{p. 122}
Il te faut enquerir s'il seroit bien possible,
Judith, 5, 24
Que ce peuple eust meffaict contre son souverain,
Alors ils seront mis soubs ta royalle main :
415 Mais s'ils n'ont point peché toute ta forte armée,
Judith, 5, 25
Ne pourra resister non plus que la fumée
Qu'un orage siflant fait fondre, & disparoir,
Tant leur Dieu les deffend, & leur donne pouvoir.
Poursuyvant Achior ces discours veritables,
420 Voulant encor narrer des choses plus notables,
Olofernes oultré de courroux furieux
Comme un chat enfermé faisoit rouller les yeux :
Taise toy malheureux, dit il à l'Ammonite,
Si tu veux avoir la mort pour ton merite,
425 Infidelle menteur qui pour mieux nous trahir,
Fains un Dieu tout armé qui vient nous envahir,
Non : ce n'est pas à moy qu'il faut vendre tes songes,
Je sçay tes trahisons, & cognoy tes mensonges :
Mais puisqu'en leur faveur tu as prophetisé,
430 Me tenant pour vaincu, deffaict, & mesprisé,
Soustenant ces mutins de ta cité voisine,
Dont je te feray voir la prochaine ruine,
Te monstrant des demain que leur Dieu ne peut pas
Les garder à ce coup de l'horrible trespas :
435 Et verra qu'il n'y a dans la machine ronde
D'autre Dieu souverain, & gouverneur du monde ;
Judith, 6, 2
Que mon Prince honoré Nabuchodonozor
Regissant l'Univers dessous son sceptre d'or :
Dont tu seras conduit à la ville rebelle,
Judith, 6, 3
440 Pour gage du malheur qui doit tomber sur elle,
Afin que parmy eux on te perce le flanc,
Judith, 6, 4
Et le soldat vainqueur se moüille de ton sang :
Tu as si bien chanté l'amour que tu luy portes,
Que tu auras honneur de mourir dans leurs portes,
{p. 123}
445 Combattant contre nous parmy leur bataillon,
Estant de leur malheur fidelle compagnon.
Le Prince n'eust si tost proferé sa sentence,
Que les soldats mutins en toute diligence
Traynans le condamné par valons, & coustaux,
Judith, 6, 8
450 Traversans les destroitz, & les rochers plus hauts,
Attachent le captif contre le tronq d'un arbre,
Judith, 6, 9
Le laissant pasle, & froid, comm'un quarré de marbre.
Ceux qui faisoient le guet voyans l'ennemy pres,
Sonnent l'alarme haut, & ceuxqui furent prestz,
455 Sortent pou attaquer ceste Payenne trouppe,
Qui fuit legerement de peur qu'on l'enveloppe.
Cependant Achior avec mille sanglotz
Faisoit gemir Echo, redisant tous ses motz,
Quand un Bethulien, un des premiers gendarmes,
460 Luy dit : pauvre Vieillard appaise un peu tes larmes,
Nous ne sommes venus pour accroistre tes maux,
Reçoy nostre secours, addoucis tes travaux,
Quel crime avois tu faict au tyran d'Assirie,
Qu'il te face punir au gré de la furie ?
465 Repren un peu vigueur du travail enduré,
N'ayes point peur de nous, tu seras asseuré,
Tes liens seront rompus vien dans la forteresse,
Oubliant maintenant ta premiere destresse.
Ce Prince que tu vois qui a le port hautain,
470 Et tient un Javelot à la senestre main,
Est le brave Osias, l'autre qui le costoye,
Marchant les yeux baissez, sans nul signe de joye,
C'est le prudent Charmy, si sage, si parfaict,
Dont sa grande valeur se monstre par effaict,
475 Tous deux chefs valeureux de nostre ville saincte,
Dieu est adoré en tout honneur, & crainte :
Donc ne te fasche point d'estre icy parmy nous,
{p. 124}
Or va les saluer, ils sont courtois, & doux.
Achior s'approcha des Princes, & leur baise
480 Et l'une, & l'autre main, estant tout ravy d'aise,
Leur compte, mot à mot, ce qu'il avoit paty,
Judith, 6, 12
Pour dire verité soustenant leur party.
Ces pauvres citoyens escoutans ces paroles,
Judith, 6, 14
Ayans de tristes pleurs leurs faces toutes molles,
485 Oyans d'Olofernes l'invincible pouvoir,
De tout humain secours abandonnent l'espoir,
Se prosternans trestous tombent dessus leur face
Demandent au Seigneur, misericorde, & grace,
Deshonnorans leur chef de cendre, & de fumier
490 Crians tous d'une voix, ô grand Dieu coustumier
Judith, 6, 15
D'ouyr tes serviteurs aux abbois qui les pressent,
Si d'un cœur abbaissé à toy seul il s'addressent :
Oeillade par pitié ce tien humble troupeau,
Que tes fiers ennemis veulent mettre au tombeau.
495 Voy ce camp orgueilleux, voy leur injuste guerre,
Toy grand Dieu triomphant au ciel, & en la terre,
Pren le glaive pour nous en ceste extremité :
Chastie le tyran de sa temerité,
Voulant assubjectir ce peuple que tu gardes,
500 Et d'un soing paternel ses angoisses regardes.
Toy qui peux renverser tous les conseils humains,
Sauve nous à ce coup de leurs sanglantes mains,
Escoute nos souspirs, ô grand Dieu qui manies
Les enfans de Jacob subjects aux tyrannies :
505 Ce n'est aux autres Dieux que nous avons recours,
Tu es nostre garant, nostre vie, & secours.
Ainsi ce peuple esleu faisoit à Dieu ses plaintes,
Les deux genoux flechis avecques les mains joinctes,
Jeusnant jusqu'à la nuict, en larmes, & en pleurs,
510 N'attendant que la mort des ennemis vaincqueurs,
{p. 125}
Qui disposoient tousjours l'armée innumerable
Parmy ce beau païs, fertile, & delectable :
Voulant Olofernes d'un cœur boüillant, & chaut,
Que sans plus differer l'on leur donna l'assaut.
515 Mais quelqu'un s'advisa que la source fertile
Des fontaines, & puis couloit hors de la ville,
Et qu'en coupant le cours, & veines des ruisseaux,
Les enfans de Jacob perdroient toutes leurs eaux.
En tel transe se voit la voisine Narbonne,
520 Quand l'ennemy guerrier qui la place environne,
Luy va retrenchant l'eau, car autrement en vain
On oppose à son mur tout le pouvoir humain.
Alors un escadron va garder les fontaines,
Qui estoient à l'entour des murailles prochaines,
525 Pensant par ce moyen la vaincre sans effort,
Judith, 7, 9
Et que la seule soif leur causeroit la mort.
Ainsi dans peu de temps toutes les eaux faillirent,
Judith, 7, 11
Et premier que la soif ce peuple ils assailirent,
S'il en restoit un peu pour ce peuple affligé,
530 Las ! ce peu le rendoit encor plus affligé,
Car l'eau estoit donnée à toute creature,
Pour la necessité chasque jour par mesure,
Quelle calamité, & lamentation
D'ouyr les pleurs, & cris pleins de compassion ?
535 Car tous les jouvenceaux, les hommes, & les femmes,
Ne se souvenans plus du peril de leurs ames,
Mais de celuy du corps attendant le trespas,
S'assemblerent trestous allans vers Osias,
Judith, 7, 12
Disans tous d'une voix : Dieu nostre seul refuge,
Judith, 7, 13
540 Soit entre toy, & nous, pour nostre cause juge,
Car tu nous as faict tort ne voulant point aller,
Vers les Assyriens àfin de leur parler
De quelque bon accort pour sauver nostre vie,
{p. 126}
Qu'une cruelle ardeur tient ores asservie :
545 Voy la calamité où nous sommes reduicts,
Un brasier venimeux estoupe nos conduicts,
Nos poulmons deschirez ne peuvent à grand peine
Brulans d'extreme soif respirer leur haleine :
L'on voit de tous costes porter dans les tombeaux
550 Nos freres trespassez pour la faute des eaux,
Helas ! ce Dieu vainqueur de nostre fiere audace
Nous à desja livrez à la Payenne raçe,
Estant presque reduicts sans appuy, ny support,
Souffrant à petit feu la rigueur de la mort.
555 Il se faict dans nos corps une fornaise ardente,
Demeurans abestis d'angoisse vehemente,
Voyans de nos enfans, & femmes les douleurs,
Las ! qui au lieu des eaux vont s'abbreuvant de pleurs.
Assemblons nous trestous sans vouloir plus attendre,
560 Afin de nous aller volontairement rendre :
Judith, 7, 15
http://vulsearch.sourceforge.net/html/Jdt.html#x7_16Car il vaut beaucoup mieux rester encores vifs,
Encor que nous soyons esclaves & captifs,
Pour louer le Seigneur en nostre servitude,
Que si des ennemis l'estrange multitude
565 Forçant nostre rampart vancqueurs, & triomphans
Meurtrissoient à nos yeux nos femmes, & enfans,
Et par le mesme estoc bourreau de nos campaignes
Nostre sang ruisseloit du sommet des montaignes,
Dont le soldat Payen nous feroit tresbucher,
570 Sans que de sa fureur nous nous puissions cacher,
Et toutes nations par le cours des années
Se riroyent de nos maux, & de nos destinées,
Et au peuples voisins voyans nostre malheur,
Nous leur serions en fable, opprobre, & deshonneur.
575 Il vaut donc beaucoup mieux dessous les ceps, & chesnes
Louer le tout puissant de nos travaux, & peines
{p. 127}
Et prendre doucement l'arrest de son courroux,
Souffrant patiemment qu'il se venge de nous.
Aussi nous aymons plus le mourir, que le vivre,
580 Et que n'ouvrons nous tost nostre ville à ce tigre,
Pour ne languir ainsi d'une trop lente mort ?
Hastons avec le fer l'extremité du fort,
Laquelle est trop fascheuse en ceste secheresse,
Judith, 7, 17
Qui nous tient aux abbois d'une mortelle angoisse.
585 Finissans ces propos qui avoient le pouvoir
De faire par pitié les rochers esmouvoir,
Ils addressent au Ciel leurs sanglots, & leurs larmes,
Judith, 7, 18
N'ayans à ce besoin de plus puissantes armes,
Crians tous d'une voix : ô pere glorieux,
590 Nous t'avons offencé avecques nos ayeuls,
Judith, 7, 19
Faisans injustement, suivans toute malice,
Sans craindre & reverer ta profonde justice,
N'ayans jamais gardé aucune pieté,
Nous nous sommes souillez en toute iniquité :
595 Mais toy qui es grand Dieu clement, & pitoyable,
Pardonne s'il te plaist ton peuple miserable,
Judith, 7, 20
Et vange par tes fleaux nos grands pechez commis,
Sans te vouloir servir des mains des ennemis,
Ne baille point, Seigneur, le peuple qui te loue
600 A celuy qui pour Dieu se tue, & desadvouë,
Et qu'ils ne disent point, ces Gentils, & Payens :
Judith, 7, 21
Où est ores leur Dieu sans force ny moyens ?
Ainsi les affligez gemirent tant qu'ils purent,
Et lassez de douleur à la parfin se teurent :
605 Quand le Prince Ozias se leva tresdoulent,
Judith, 7, 23
Faisant de ses deux yeux un fleuve ruisselant,
Disant aux assistans ne perdons point courage,
Nous ne sommes encor captivez au servage,
Attendons à nous rendre encore pour cinq jours,
{p. 128}
610 Et peut estre que Dieu nous donnera secours,
Peut estre qu'il perdra la juste souvenance,
De nos graves pechez par sa douce clemence,
Et ostera de nous son indignation,
Delivrant de tous maux sa pauvre nation.
615 Mais si dedans cinq jours nous n'avons plus moyen,
Judith, 7, 25
De resister encor à ce Prince payen,
Nous nous rendrons pour lors a son rude servage,
Pour demeurer captifs le reste de nostre age.
Or advint qui Judith femme a feu Manassez,
Judith, 8, 1
620 Entendit les dessein de ces discours passez,
Et conceut en son cœur entreprise nouvelle,
Qui la doit honnorer d'une gloire immortelle,
Et rendre son beau nom fameux par l'Univers,
Beau subject de louange, & subject de mes vers,
625 Dieu se voulut servir du bras de ceste dame,
Pour son peuple affranchir par ce qu'elle avoit l'ame
Remplie de vertus, de toute saincteté,
Et les graces du ciel honnoroient sa beauté.
Mais parmy les vertus dont elle estoit douée,
630 Sa chasteté sur tout fut hautement louée,
Pource apres que la mort eust ravy sa moitié,
Elle ne voulut plus donner son amitié,
A un second espoux mais chaste jeune, & belle,
Fit vivre apres sa mort son amitié fidelle,
635 L'ayant tousjours au cœur comme s'il fut vivant,
Toutes les loix d'honneur sainctement observant,
Or cest amour divin logeant dedans son ame,
Embraza tout son cœur de sa divine flamme,
Et poussa son esprit d'un courage indompté,
640 A ce faict glorieux du dessein enfanté.
Mais entendez comment elle parle aux plus sages,
Chabri, Carmi, Assi, excellens personnages,
{p. 129}
Et d'un sage parler tout remply de douceur,
Portant l'honneur de Dieu gravé dedans son cœur,
645 Elle leur dit ainsi : quelle est ceste parole,
Judith, 8, 10
Qu'Ozias a promis si temeraire & folle,
De rendre à ces payens la cité dans cinq jours,
Si pendant ce temps là nous n'avons du secours ?
A nous pauvres mortels peut-il estre loisble,
Judith, 8, 11
650 De limiter le cours du pouvoir invincible ?
Helas ! que sommes nous pecheurs audacieux,
De tenter le haut Dieu, le Monarque des Cieux,
Sont ce les oraisons, & tres humbles requestes,
Que nous luy addressons pour chasser ses tempestes,
655 Qui nous vont menassant pour foudroyer nos chefs,
Car nos iniquitez engendrent nos meschefs,
Incitant d'autant plus l'eternelle justice
Judith, 8, 13
De ce Dieu tout puissant de punir nostre vice.
Si pour estre en danger d'estre meurtris, & quoy,
660 Perdrons nous aussi tost l'esperance, & la foy ?
Avons nous mis un terme à sa misericorde,
Pour nous donner la mort, ou sa douce concorde ?
Avons nous entrepris par nostre volonté
De rendre trop hautain son effort limité ?
665 O mes freres treschers esveillons nos pensées,
Que le joug de peché retient fort oppressées,
Car le pere eternel est doux, & patient,
Judith, 8, 14
Et regarde en pitité l'affligé suppliant.
Demandons luy pardon de ceste grande offense,
670 Et en pleurs, & souspirs regardons sa clemence :
Il ne se venge pas tout ainsi comme nous,
Judith, 8, 15
Il est prompt à pitié, & tardif à courroux.
Partant humilions soubs sa majesté haute
Judith, 8, 16
Nos ames, & nos corps, & pleurons nostre faute,
{p. 130}
675 Resignons en ses mains nostre calamité,
Prenans patiemment sa saincte volonté,
Qu'en nostre extremité sa grace nompareille,
Pour nous glorifier face quelque merveille.
Que sa haute justice abbaisse de sa main
680 La trop grande fierté du Payen inhumain ;
Son peuple delivrant par sa benigne grace
Des sanguineuses mains de si cuelle race,
Qui fait trembler nos cœurs par son superbe orgueil,
Dans nos corps languissans approchans du cercueil.
685 Mais bien que nous soyons accablés de miseres,
Nous n'avons pas suivy le peché de nos peres,
Judith, 8, 18
Qui quitterent jadis le Dieu puissant, & fort,
Dont pour ceste revolte ils souffrirent la mort,
Judith, 8, 19
Mais nous ne cognoissons, & n'avons en memoire
690 Autre que l'Eternel digne de toute gloire,
Attendant humblement ses consolations,
Judith, 8, 20
Qui peuvent addoucir nos tribulations,
Foudroyant de son bras par le trait de sa foudre,
Nos cruels ennemis qu'il peut reduire en poudre.
695 Vous freres anciens aux jugements plus saincts,
Judith, 8, 21
Qui du peuple tenez les ames en vos mains,
Efleurez leurs esprits par paroles divines,
Rechauffans sainctement le gel de leurs poitrines,
Leur faisant souvenir en ces calamitez,
Judith, 8, 22
700 Que nos premiers parens furent jadis tentez,
Et furent esprouvez par cent mille traaverses,
Par mille afflictions fascheuses, & diverses,
Estans par ce moyen trouvez loyaux amis
Du Seigneur eternel qui tout avoit permis.
705 Mais les impatiens qui en la peine dure
Judith, 8, 24
Esleverent au ciel la voix de leur murmure :
{p. 131}
Furent exterminez de ce Dieu qui tout peut,
Judith, 8, 25
Et de ses ennemis se venger quand il veut.
Ne murmurons donc point pour les choses presentes,
Judith, 8, 26
710 Bien que nous les trouvions ameres, & cuisantes,
Estimons que ce sont de petis fleaux de Dieu,
Judith, 8, 27
Qui pour nous corriger nous chastie en ce lieu.
Il nous veut amender de nos fautes couvertes,
Et ne croyons jamais qu'il endure nos pertes,
715 Cecy n'est point venu pour nous endommager,
Mais bien pour estre faits sages par le danger.
Lors tous les assistans au vif sentans atteinctes
Leurs ames du discours de ses paroles sainctes,
Dirent tous d'une voix : tu as parlé tresbien,
720 Et de la verité tu n'en ignores rien,
Judith, 8, 28
Prie donc nostre Dieu toy qui es saincte femme,
Judith, 8, 29
Que du cruel danger il delivre nostre ame :
Elle leur respondit, comme vous cognoissez
Que du fonds de mon cœur j'ay ces mots prononcez,
725 Venans de l'eternel, & de sa sapience,
Judith, 8, 30
Je vous prie esprouver mon humble confiance,
Et le dessein que j'ay dans mon cœur arresté,
Qu'il plaise au tout-puissant conduire en seureté :
Mais ne vous enquerez rien plus de mon affaire,
Judith, 8, 33
730 Priez Dieu seulement que sa grace prospere
Me donne sa faveur, & me tienne la main
A l'effait desiré de mon humble dessein :
Vous m'attendrez ce soir aux portes de la ville
Judith, 8, 32
Car je veux ceste nuict sortir de Bethulie,
735 Et ne faictes pour moy que prier nuict, & jour,
Jusqu'à ce que je sois en ce lieu de retour.
Dieu benisse tes pas ô femme genereuse
Judith, 8, 34
Dit le Prince Ozias, ta voye soit heureuse,
{p. 132}
Dieu te conduise en paix, & ton sage dessein
740 Soit tousjours soustenu de sa divine main.
Lors elle s'en despart, & s'en allant seulette,
Pour prier le grand Dieu en sa chambre secrette,
Ayant dedans son cœur la saincte intention
Tendant à delivrer sa pauvre nation.
745 Flechissant ses genoux dedans son oratoire,
Elle pleure, & gemit, se vestant d'une hayre,
Criant de tout son cœur en larmes, & souspirs
A celuy qui scavoit le but de ses desirs,
Disant d'un cœur ardent de charité non feincte :
750 O pere tout clement entens a ma complaincte,
Escoute Dieu benin la tresdolente voix
De ce peuple affligé qui veut garder tes loix.
Tu as jadis donné à nos peres l'espée
Pour estre dans le sang des ennemis trempée,
755 Vengeant l'iniquité sur les violateurs,
Dont ta puissante main les fit executeurs,
Leurs puissans ennemis audacieux, & braves
Judith, 9, 3
Furent dessous leur joug retenus pour esclaves:
Pource qu'ils ont suivy le zele de ton nom,
760 Tu as jusques au ciel extollé leur renom :
Exauce-moy Seigneur : car tu es mon attente,
Je suis ta pauvre vesve, & tres humble servante,
Toy qui regis le cours des choses à venir,
Judith, 9, 4
Les pouvant advancer, garder, & retenir,
765 Et tout ce qu'il te plait qu'on execute, & face,
Prent accomplissement en ceste terre basse.
C'est par ta sapience, ô pere gracieux,
Que tout est gouverné, en la terre, & aux cieux,
Regarde s'il te plaist ce puissant exercite,
Judith, 9, 6
770 Comme tu regardas les armées d'Egypte,
{p. 133}
Qui contre ses enfans faisoyent marcher leurs osts,
Se tenans asseurés dedans leurs chariots :
Mais ton œil doicturier regardant leur superbe,
A l'instant les couppa comme une mauvaise herbe,
775 Les faisant par la mer engoutir dans ses eaux,
Ayans pour leurs meffaits les abismes tombeaux.
Ainsi soyent tous ceux là qui en eux se confient,
Judith, 9, 9
Sans craindre ton pouvoir leur force glorifient,
Et ne cognoissent pas dedans leurs cœurs pervers,
Judith, 9, 10
780 Que tu es le grand Dieu facteur de l'Univers,
Judith, 9, 11
Pouvant exterminer, & rompre leurs armées,
Et mettre soubs nos pieds, leurs forces animées :
Esleve donc Seigneur ton equitable main,
Brisant par ta vertu leur courage inhumain,
785 Que ton juste courroux face un brave spectacle,
Puis qu'ils ont bien voulu soüiller ton tabernacle,
Profaner tes saincts lieux, & par le fer cruel
Abbatre, & ruiner les cornes de l'Autel.
Monseigneur, mon espoir, le rempart de mon ame,
790 Abbaisse leur orgueil par une simple femme :
Que le glaive trenchant de ce brave guerrier,
Judith, 9, 12
Pour nous venger de luy soit son juste meurtrier :
Que dans son propre sang ses forces tu abbreuves,
Te monstrant admirable aux tiens que tu approuves :
795 Qu'il soit prins de mes yeux pour luy servir de las
Judith, 9, 13
A le trainer bien tost à son mortel trespas :
Donne moy donc Seigneur la force necessaire,
Judith, 9, 14
Afin de condamner ce puissant adversaire,
Afin qu'il soit escrit durant le cours des ans,
800 Et qu'il soit racompté des peres aux enfans,
Judith, 9, 15
Pour celebrer ton nom digne de toute gloire,
Que la main d'une femme eust si belle victoire.
{p. 134}
Je sçay que la grandeur de ton divin pouvoir
Judith, 9, 16
Ne consiste à beaucoup de gendarmes avoir,
805 Ny à faire marcher des nations estranges,
Car par d'autres moyens justement tu te venges :
Mais je sçay bien Seigneur des le commencement,
Que les gens orgueilleux ne t'ont pleu nullement,
Mais la douce pitié advoüe les prieres,
810 Et supplications des humbles debonnaires.
Daigne donc ta bonté mon ame soustenir,
Et de ton testament vueille te souvenir,
Judith, 9, 18
Foudroye de ton bras cest ennemy farouche,
Mets la force en mon cœur, & parole en ma bouche :
815 Gouverne mon dessein jusques au dernier point,
Donne moy ton conseil, ne m'abandonne point,
Afin que ta maison demeure saincte, & pure,
Judith, 9, 19
Et que tu sois loué de toute creature.
Apres qu'elle eust cessé de crier au Seigneur,
Judith, 10, 1
820 Entremeslant de pleurs sa piteuse clameur,
Elle se releva dont elle estoit gisante,
Faisant venir Abra sa fidelle servante :
Judith, 10, 2
Luy commandant d'aller dedans ses cabinets
Cercher ses vestemens, & riches affiquets,
825 Qu'elle souloit porter avant que la mort fiere
Ravit à son espoux la plaisante lumiere :
De ses deux belles mains se despouilla subit
La hayre qu'elle avoit, & tout le triste habit
De son funebre dueil, parement de vesvage,
830 Descouvrant la beauté de son rare visage,
Elle lava son corps, & l'oignit doucement,
Judith, 10, 3
Et ses cheveux dorez agencez proprement,
Mettant dessus son chef une belle couronne,
Qui son front glorieux richement environne,
{p. 135}
835 Accoustrant ses cheveux tords, & regredillez,
Les uns sur son beau sein volloyent esparpillez,
Les autres annellez sur la gorge pourprée,
Serroyent tout à un rond la coiffe diaprée,
Son col blanc, & doüillet plus que le laict caillé,
840 Estoit ceint d'un Carquan de perles esmaillé,
D'ou pendoyent des Rubis sur sa gorge yvoirine
Faisans luire des feux en sa blanche poitrine.
Sur son corps gresle, & beau une robbe elle avoit,
Qui à plis ondoyant jusqu'aux pieds arrivoit,
845 Tissue richement de cent couleurs choisies,
D'or, d'Ofir precieux, & soyes cramoisies,
Où l'on voyoit tiré par ouvrages divers
La naissante beauté de ce grand Univers,
Comme le tout-puisssant fit de rien toutes choses,
850 Et la terre poussa les semences encloses,
Le ciel fut esclaire de ses luisans flambeaux,
La mer dedans ses creux vit enfermer ses eaux.
Ses bras ronds, & douillets avoient pour leur parurë
Des cercles de son fin or de leur ronde mesure,
855 Ses doigts blancs, & polis estoyent aussi parez
De riches pierreries, ,& ses pieds decorez
De la chaussure aussi de sandales dorées,
Et toutes ses beautez estoyent aussi parées.
Alors le tout-puissant qui voyait son dessein,
Judith, 10, 4
860 Luy accreut sa beauté d'une abondante main,
Car à la regarder ses graces estoyent teinctes
De roses, & d'oeillets ses leures estoient peinctes,
Sa face estoit de lis, & le traict de ses yeux
Eust percé la durté d'un cœur plus furieux.
865 Tout ce haut appareil de sa belle vesture
N'avoit affection qui ne fut saincte, & pure,
{p. 136}
Car tout le fondement n'estoit que la vertu,
Dont elle avoit le cœur sainctement revestu.
Ce grand Dieu conducteur des desirs de son ame,
870 Favorisoit en tout ceste pudicque dame,
Et tous ceux qui voyoient sa divine beauté,
Benissoyent le Seigneur, & louoyent sa bonté :
Mais sa delicatesse, & sa belle jeunesse
Ne fit pour quelque temps que son jeusne elle laisse,
875 Ains elle veut toujours jeusner où qu'elle soit,
Et son sobre repas tousjours elle reçoit.
Et prenant son chemin estant de Dieu benie,
Avec la seule Abra pour toute compagnie,
Traverse la cité où ceux qui la voyoient
880 Ravis d'estonnement ses graces admiroyent,
Et louans sa beauté, dont toute ame est esprise,
Ils prennent bon espoir de sa haute entreprise,
Dressans à l'eternel des supplications,
Pour la conduire au but de ses affections.
885 Ainsi elle arriva aux portes de la ville,
Où ceux qui la gardoyent la voyans si gentille,
Judith, 10, 7
Comme tous esbahis, & d'un somme esveillez,
De voir tant de beautez sont tous esmerveillez,
Et la laissans passer rien ne luy peurent dire,
Judith, 10, 8
890 Sinon tous d'une voix : Dieu te vueille conduire,
Et rendre confirmé de sa grace, & faveur,
Sans jamais varier de dessein de ton cœur :
Le grand Dieu de Jacob ton ame fortifie,
Et Hierusalem sur toy se glorifie,
895 Afin qu'à l'advenir ton nom soit celebré,
D'un eternel honneur entre les saincts nombré.
Ainsi les affligez prioyent pour la conduite
De la belle Judith qui sans nulle autre suite,
Judith, 10, 9 {p. 137}
Sortit de la cité, priant incessament
900 Celuy qui la pouvoit conduire seurement.
Et quand l'aube du jour desploya sa lumiere,
Devançant du soleil la course coustumiere,
Et le ciel azuré commenca peu à peu,
A changer en blancheur le voile de son bleu,
905 Judith haste ses pas descendant la montée,
Judith, 10, 11
Où elle fut bien tost des gardes arrestée
Luy disans d'ou vien tu, & où va tu si tost
Cheminant si matin au milieu de nostre ost ?
Laquelle respondit : sachez que je suis fille
Judith, 10, 12
910 Des Hebrieux desolez, ayant quitté ma ville,
Afin de me sauver, car je cognois tres-bien,
Que pour vous resister ils n'ont plus de moyen :
Ils vous seront donnez en butin, & conqueste,
Je craignois le mal'heur qui menassoit leur teste,
915 Pour ce qu'ils n'ont voulu se ranger en accord,
Dont ils seront punis d'une cruelle mort :
Partant ay je pensé en mon ame craintive,
Judith, 10, 13
Encor que je ne sois qu'une pauvre captive,
De m'aller presenter au Prince valeureux,
920 Pour dire les secrets de ces gens malheureux,
Et luy monstrer le lieu, les moyens, & addresses,
Comme il pourra gaigner leurs murs, & forteresses,
Sans qu'il faille pourtant exposer aux hazards,
La vie, & le travail de ces braves soldarts.
925 Disant tous ces propos, ceux qui parloyent à elle
Judith, 10, 14
Furent tous esbahis oyans ceste nouvelle,
Et voyans sa beauté, ses graces, & douceurs,
Et l'atraict de ses yeux qui desroboit leurs cœurs.
Ils estoient esbahis, & confus en eux mesmes,
930 Admirans ceste Dame, & ses graces extremes,
{p. 138}
Et luy ont respondu encores tous ravis :
Judith, 10, 15
Certes tu as bien fait de prendre c'est advis,
Esloignant ta Cité pour garentir ta vie,
Qui ne merite pas d'estre si tost ravie :
935 Mais va t'en hardiment sant craindre ny doubter
Devant nostre Seigneur humblement presenter,
Car de sa majesté tu seras bien receüe,
Et si prendra plaisir grandement à ta veüe.
Ils la meinent alors dedans le pavillon
Judith, 10, 16
940 Du Prince Olofernes où tout el bataillon,
Des gensdarmes rengez, pour la garde des tentes
Admiroit de ses yeux les clairtez bluettantes.
Mais apres qu'elle fut entrée la dedans,
Et que le Prince eust veu ses deux astres ardants,
Judith, 10, 17
945 Il fut tout espperdu, & sa cruelle force
Se fondit comme cire au feu de ceste amorce :
Son cœur fut garotté d'une chaisne de fer,
Desja l'aveugle amour en pouvoit triompher :
Sa debile raison avoit quitté la place,
950 Il n'avoit plus du front ceste premiere audace :
Les Princes assistans, & ceux de son conseil
Esblouys des rayons de ce plaisant soleil,
Ne se pouvoyent garder de parler a leur maistre,
Qui sent ce feu cruel de son ame se paistre,
955 Disant qui est celuy qui mettroit à mespris
Judith, 10, 18
Le peuple des Hebrieux bien qu'il soit desja pris,
Ayans en leur cité des femmes ainsi belles,
Nous devons batailler, & combattre pour elles.
Mais la belle Judith pleine de sens rassis
Judith, 10, 19
960 Voyant Holofernes dedans sa tente assis,
Tissue richement d'or, d'escarlate, & soye,
Couverte des presens que l'Orient envoye,
{p. 139}
Elle se prosterna devant sa majesté,
Judith, 10, 20
Tendant le premiers lacs de son humilité.
965 Mais le Prince vaincu qui avoit ja son ame
Dedans le chaste sein de ceste belle Dame,
Ne peut pas endurer de la veoir abbaisser,
Ains par ses courtisans il la fit redresser,
Et la voyant debout au devant de sa face
970 Pleine de majeste, & merveilleuse grace,
Regardant à souhait son visage benin,
Il humoit par les yeux cest amoureux venin,
Changeant en douce amour sa cruauté farouche,
Du profond de son cœur il fit parler la bouche :
975 Escoute s'il te plait femme dont la beauté
Ne receuvra de nous force, ny cruauté,
N'ayes aucune peur renforce ton courage,
Judith, 11, 1
Car je n'ay jamais fait desplaisir ny dommage
Aceux qui ont servy Nabuchodonozor,
980 Cerchant ma douce paix, & n'eusse point encor
Judith, 11, 2
Environné les murs de ton peuple revesche,
Et n'eusse point jecté coup de dard, ny de flesche,
S'il n'eussent contemmez mes forces, & vertus,
Car je prens à mercy les humbles abbatus :
985 Raconte s'il te plait quelle cause ta meüe
Judith, 11, 3
De laisser tes parens dont si chere est la veüe,
Te sauvant parmy nous plustost qu'en autre part,
Où nous avons ce bien de voir ton beau regard.
Judith luy respondit d'une face constante :
Judith, 11, 4
990 Reçois tous les propos de ton humble servante :
S'il te plaist m'escouter, & prendre mon conseil,
Tu seras jouissant du butin nompareil.
Car le Dieu tout puissant qui tout fait, & dispose
Fera par ton moyen quelque admirable chose.
{p. 140}
995 Je cognois que ce Roy eslevé hautement,
Ce Roy de l'univers regne parfaictement,
Et que la majesté de sa riche couronne,
Et sa rare vertu se voit en la personne,
Pour corriger tous ceux qui n'obeissent pas
1000 Comme la raison veut, au pouvoir de son bras,
Et ne cognoissent pas leur ignorance folle,
Quand ils vont mesprisant ta Royalle parole,
Voyant que les mortels les villes, & citez,
Et tout ce qui se voit des pais habitez,
1005 Ne sont pas seulement à ton obeissance,
Par l'effort valeureux de ta haute puissance.
Mais les bestes des champs pleines de cruauté
Luy vont obeissant par ton auctorité.
Judith, 11, 5
Tous les peuples loigtains & nations du monde
1010 Admirent ta valeur, & sagesse profonde :
Judith, 11, 6
Et ton nom en tous lieux clair d'honneur se faict voir.
Car tout cest univers à senty ton pouvoir,
Et l'on n'ignore pas la trop superbe audace
Qu'Achior a monstré au devant de ta face :
Judith, 11, 7
1015 Ny l'execution de ton commandement,
Pour avoir devant toy parlé trop follement.
Mais ce que les Hebrieux plus grandement moleste,
C'est qu'ils voyent à l'oeil tout clair, & manifeste
Le Seigneur irrité desployant son courroux
Judith, 11, 8
1020 A juste occasion sur les pechez de tous,
Lequel leur à mandé par les sages Prophetes,
Qu'ils seroyent delaissez aux horribles deffaittes,
Dont pour ce grand effroy ils sont si esgarez,
Judith, 11, 9
Qu'ils ont perdu les sens demy desesperez,
1025 Estans desja vaincus de crainte pallissante,
N'attendans que le trait de la mort ravissante,
{p. 141}
Et l'enragée faim les a tant assaillis,
Judith, 11, 10
Qu'ils sont à demy morts ayans les cœurs faillis.
Ainsi facilement tu auras la victoire,
1030 Puis qu'ils n'ont ores rien à manger ny à boyre,
Ayans deliberé de tuer leur troupeaux,
Judith, 11, 11
Et s'abbreuver de sang au lieu de fresches eaux,
Estant si aveuglez en leurs forces estaintes,
Qu'ils veulent engager toutes les choses sainctes,
Judith, 11, 12
1035 Que Dieu à commandé garder si cherement,
Sans les bailer jamais pour huille, ne froment :
Et pour ces grands pechez il est chose asseurée,
Qu'ils seront devant toy de bien courte durée.
Et moy qui prevoyois l'orage furieux,
Judith, 11, 13
1040 Afin de me sauver m'esloigne de leurs yeux,
Et pour t'en advertir Dieu m'a icy conduite,
Judith, 11, 14
Car encor que je sois en desolée fuite,
J'adore Monseigneur, voire estant pres de toy,
Voulant à tout jamais garder sa saincte loy,
1045 Et si tu me le permets bien loin du corps de garde,
Soit à soleil levant, ou soit à heure tarde,
Que j'aille prier Dieu sans nul empeschement :
Je te diray le jour que ton fort regiment
Judith, 11, 15
Abbatra les remparts, & murs Israëlites,
1050 Sans perdre un seul soldat de tes troupes eslites :
Car je te meneray comme maistre, & Seigneur
Judith, 11, 17
Dedans Hierusalem, ayant sous ta grandeur
Tout le monde vaincu comme brebis errantes,
N'ayans point de pasteur pour les deserts beellantes.
1055 Tu seras triomphant, & tout t'obeyra,
Et jamais contre toy un chien n'abbayera :
Car le Dieu de Jacob qui a toute puissance,
M'a revelé le fait par sa grand providence,
{p. 142}
Estant pour leurs pechez grandement courroucé.
1060 Et si veut que par moy cecy soit annoncé.
Ceste harangue estant avec grace conduitte,
Judith, 11, 18
Infiniement agree au Prince, & à sa suitte,
Disant : qui vit jamais en tout cest Univers
Judith, 11, 19
Tant d'attraitz dans un corps, & tant d'appas divers
1065 Je croy qu'il ny a point de telle femme au monde,
Si pleine de beauté, de grace, & de faconde.
Le Visroy tout esmeu de son sage parler
Monstroit l'affection qu'il ne pouvoit celer,
Disant en souspirant, le Seigneur qui t'envoye,
Judith, 11, 20
1070 Certes a tresbien faict de te monstrer la voye
Afin de te sauver, & nous donner espoir,
De mettre les Hebrieux dessous nostre pouvoir :
Partant je te prometz ma parolle royalle,
Qui est en tous endroicts estimée loyalle,
1075 Que si ton Dieu nous faict triomphans & vainqueurs,
Judith, 11, 21
Que je l'estimeray le Seigneur des Seigneurs,
Et si sera mon Dieu, n'ayant jamais envie
Servir autre que luy tant que j'auray la vie,
Et pour te guerdonner de tes ennuis passez,
1080 Tes penibles travaux seront recompensez,
Tu seras à l'enuy de chacun adorée,
Dans le palais du Roy hautement honorée.
Adonc il commanda que l'on la fit loger
Judith, 12, 1
Où estoient ses thresors, luy donnant à manger
1085 De ce qu'on apprestoit pour sa royalle table,
Servie largement de metz plus delectables :
Mais elle s'excusa, disant : je ne veux pas
Judith, 12, 2
Pour crainte d'offenser, gouster de ce repas,
Mais j'ay avecques moy des viandes apportées,
1090 Qui d'ordinaire sont pour mon vivre apprestées.
{p. 143}
Mais, dit Olofernes, quand ta viande, & ton pain
Judith, 12, 3
Non, dit elle soudain, ton ame soit vivante,
Judith, 12, 4
O redoubté Seigneur, car ton humble servante
Ne despendra jamais ce qu'elle a apporté,
1095 Que le vouloir de Dieu ne soit executé.
Adonc ses courtisans doucement la menerent
Dedans le pavillon, où logis luy donnerent,
Mais elle les pria qu'on luy permit sortir,
Judith, 12, 5
Ainsi qu'elle voudroit arrester, ou partir,
1100 Afin de supplier la puissance divine
D'accabler les Hebrieux d'une prompte ruïne.
Le Prince commanda qu'ainsi qu'il luy plairoit,
Judith, 12, 6
Elle pourroit sortir, où bien entreroit,
Pour adorer son Dieu le long de trois journées,
1105 Attendant le sucçez des choses ordonnées.
Durant l'obscure nuict qui charme les soucis,
Et rend tous les travaux en dormant addoucis,
Judith sans avoir peur des tenebres obscures,
Ny du camp ennemy estincellant d'armures,
1110 S'en alloit prier Dieu en ce silence noir,
Car elle avoit en luy le but de son espoir ;
Allant toutes les nuicts au val de Bethuulie,
Judith, 12, 7
Où tousjours dans son cœur elle pleure, & supplie,
Y trouvantd'un ruisseau le beau cours argentin,
1115 Qui faict rouler ses eaux d'un repli serpentin,
Où elle se lavoit, & sortant toute nette
Faisoit au tout puissant sa treshumble requeste.
Montant de ce valon elle prioit tousjours,
Judith, 12, 8
Demandant au Seigneur le desiré secours,
1120 Le priant luy donner telle force, & puissance,
Que son peuple par elle eust bien tost delivrance,
{p. 144}
Puis elle s'enfermoit au tabernacle à part,
Judith, 12, 9
Estant en oraison jusques au soir bien tard,
Où la servante Abra qui de sa dame à cure,
1125 Luy donnoit son repas, & sobre nourriture.
Advint heureusement que le quatriesme jour
Judith, 12, 10
Estant Olofernes tout enflammé d'amour,
Fit dresser un banquet entre ses domestiques
Servi royalement en façons magnifiques,
1130 Et pour evaporer la flamme de son cœur,
Il fit venir à soy Vage son serviteur,
Son unique plus cher, secretaire fidelle,
Luy faisant les discours de son amour nouvelle :
Va dit-il mon amy, va trouver ce bel œil,
1135 Va voir ce beau maintien, & gracieux accueil
De la belle Judith pour laquelle sans cesse,
Mon cœur est tenaillé d'amoureuse destresse :
Dy luy je te supply'qye pour la trop priser,
Et l'aymer cherement je ne puis reposer,
1140 Et qu'en autre amitié cy devant esprouvée,
Las ! Une passion telle encor' n'ay trouvée :
C'estoit pour mon plaisir que je faisois l'amour,
Mais ores dans ce feu je brusle nuict, & jour,
Je suis le prisonnier de ma belle captive,
1145 C'est elle qui de sens, & de raison me prive.
Tout le monde assemblé n'eust force ma vertu ;
Mais un traict de ses yeux à mon cœur abbatu,
Mai quoy ? Je suis bien sot de jetter tant de larmes ;
Et mettre à nonchaloir l'exercice des armes,
1150 Pour un bien desiré qui est à mon pouvoir,
Et le tenant si pres de languir pour l'avoir.
Mais las ! sa grand beauté source de ma complaincte,
Que je veux adorer comme une chose saincte,
{p. 145}
Merite plus encor qu'on souffre pour l'aymer,
1155 L'on ne pourroit assez ses graces estimer,
Je ne puis plus parler, va recouvrer ma vie
Des yvoirines mains de ma douce ennemie,
De venir au banquet prie la de ma part,
Sans demeurer tousjours retirée à l'escart.
1160 Car j'ay de sa beauté l'ame si transpercée,
Qu'elle est mon seul soucy, & ma seule pensée,
Estant chose à blasmer à tout parfaict amant,
S'il ne faict apparoir ce qu'il souffre en aymant.
Vage qui cognoissoit le vouloir de son maistre,
1165 S'en va treuver Judith pour luy faire apparoistre
La folle affection de ce malheureux Roy,
Esclave dans les ceps de l'amoureuse loy,
Disant : je te supply, ô Dame gratieuse,
Judith, 12, 12
De resjouir ton cœur, & n'estre soucieuse,
1170 Cela n'est pas seant à tes jeunes beautez,
De demeurer seulette aux lieux plus escartez :
Le Roy de qui tu es heureusement captive
M'envoye devers toy te prier au convive,
Où il t'honnorera à fin qu'a l'avenir,
1175 De sa grand majesté te puisse souvenir,
Beuvant avecque luy le vin de ta liesse,
Chassant ores bien loing tout amere tristesse,
Car tu as aujourd'huy acquis ce grand pouvoir,
Que tu as mon Seigneur subject à ton vouloir.
1180 Ainsi le serviteur accort à son message,
Persuadoit Judith avec un doux langage,
Quand elle luy respond qu'un visage riant,
A son riche parler la grace mariant,
Disant : qui suis-je moy, pour vouloir contredire
Judith, 12, 13
1185 A ce Prince vainqueur que tout le monde admire,
Son esclave je suis, tout ce qu'il luy plairra,
Judith, 12, 14 {p. 146}
A ses commandemens mon ame obeira.
Comme les jours d'esté quand la pluye est passée,
Qui estoit de long temps dans le ciel amassée,
1190 Ses rayons va levant le soleil radieux,
Et monstre ses clairtez qui decorent les cieux,
Descouvrant un bel arc de cent couleurs diverses,
De jaune, rouge, vert, incarnates, & perses :
Ainsi voulut Judith, pour orner sa beauté,
1195 Se parer des habitz qu'elle avoit apporté,
Judith, 12, 15
Et parmy ses couleurs estoit plus reluisante,
Que la belle Vesper les astres conduisante,
S'en allant presenter à son fier ennemy,
Qui de son chaste cœur desiroit estre amy.
1200 Lors l'esclat de ses yeux descocha tant de flesches,
Judith, 12, 16
Tant de brandons ardans, & cruelles flamesches,
Que le Prince vaincu pensa presque pasmer
Sentant ce feu couvert dans son cœur allumer :
Car plus il la voyoit plus il la trouvoit belle,
1205 Luy remarquant tousjours quelque grace nouvelle,
Et pour paistre ses yeux en ses trompeurs appas,
Il la veut pres de luy assise à son repas,
Luy disant : je te pry' ne sois point estrangere,
Judith, 12, 17
Mais demeure avec nous pour faire bonne chair,
1210 Car tu te peux vanter d'avoir ceste faveur,
De trouver à jamais grace dedans mon cœur.
La vefve qui cognoist son entreprise sainte
Se bastir à souhait luy respondit sans crainte :
Sire treshumblement je te veuc obeir,
1215 Je me puis à bon droit à ce jour resjouir
Judith, 12, 18
Recevant tant d'honneur, & grace nompareille,
Qui comblent mes espris d'une douce merveille,
Ayant de ta faveur, & royalle bonté
Receu plus de bien faicts, que je n'ay merité.
{p. 147}
1220 Et prenant sobrement de ses viandes communes,
Judith, 12, 19
Voyant devant ses yeux des choses importunes,
Mille desreglemens, & dissolutions,
Elle dressoit à Dieu ses supplications,
Esperant attraper ce Prince detestable,
1225 Qui beuvoit à souhait au plus haut de sa table,
Incitant ses amis avec la coupe d'or
De boire au nom du Roy Nabuchodonozor,
D'enfler leur estomach, & mettre en evidence
Leur gourmand appetit plein de toute insolence.
1230 Il estoit le premier qui monstroit le chemin
D'avaler à longs traicts les pleins hanaps de vin,
Les platz d'or burinez, chargez de toute viande
Provocquant l'appetit de la bouche friande,
Par le maistre d'hostel estoient souvent changer,
1235 Les vistes eschansons n'estoient pas soulagez :
L'un portoit du Nectar les pesantes hydries,
L'autre les entremects sallez d'espiceries,
L'on faict à qui mieux mieux, à sucçer la liqueur,
Qui oste la raison, & assoupit le cœur.
1240 Tandis le general sans que la soif luy passe,
Espuise bien souvent le ventre de sa tasse :
Son debile cerveau se trouble peu à peu,
Ayant desja le mal de ceux qui ont trop beu,
Car le plaisir qu'il a de voir sa chere amie,
Judith, 12, 20
1245 Fait qu'il boit plus ce soir qu'il ne beut de sa vie.
Lors la profonde nuict, & le somme oublieux,
Qui assoupit nos corps dans le lict otieux,
Passoit sans y penser en ces larges delices,
Qui ouvrent aux humains la porte de tous vives,
1250 Continuant les metz de divers appareil,
Jusque à ce que leurs yeux se fermoyent de sommeil.
Quand ils furent levez du souper magnifique,
Judith, 13, 1 {p. 148}
Ils n'ont aucun soucy d'escouter la musique,
Ny les accordz divers de mille, & mille tons,
1255 Chacun cerchant son lict se retire à tatons,
Gaignant hastivement la delicate couche,
Sans se souvenir plus de la guerre farouche :
Et le Prince endormy dedans son lict fut mis
Judith, 13, 4
Pour reposer son vin aussi tous ses amis,
1260 Et tous ses serviteurs estans de mesme sorte
S'en vont incontinent sans point fermer la porte,
Tant ils estoyent hastifs à cercher leur repos,
Ne sachans si les huys estoient ouvers, ou clos.
Mais tandis que chacun avoit l'ame plongée,
1265 Au profond du sommeil au repos engagée,
Judith ne dormoit pas, à Dieu son cœur veilloit,
Estant au pavillon où le Roy sommeilloit,
Et voyant du reposle nocturne silence,
Et la commodité de sa longue esperance,
1270 Elle envoya dehors Abra faire le guet
Judith, 13, 5
Tandis que son dessein elle met en effait.
Lors elle s'approcha de la couche parée,
Judith, 13, 6
Qui soustenoit ce corps plein d'une ame enyvrée,
Voyant devant ses yeux l'ennemy capital,
1275 Qui aux enfans de Dieu avoit tant faict de mal :
Son ame tressaillit, & ses larmes roullantes
Envoyent devant Dieu ses prieres bruslantes,
Avec mille sanglotz en silence disant,
O pere liberal qui vas favorisant
Judith, 13, 7
1280 Les desseins, & les vœux de tous ceux qui te prient,
Punissant justement les ingratz qui t'oublient,
Donpte icy la fierté du tyran orgueilleux
Et sauve mon honneur du danger perilleux,
C'est or' à ce besoin, que j'implore ta grace,
1285 Desploie tes faveurs, & me donne l'audace
{p. 149}
De faire par mes mains ce triomphe nouveau,
Qui ne fera jamais enclos dans le tombeau :
Fortifie mon bras, & regarde à cest heure
De ton œil gratieux ta pauvre creature,
1290 Voy ta Hierusalem ta fidelle cité,
Delivre la Seigneur de sa captivité,
Afin que ton conseil, lequel j'ay voulu croire
Favorise ceux-là qui desirent ta gloire :
Je suis icy venüe ayant espoir en toy,
1295 Ne me frustre Seigneur au loyer de ma foy.
Ayant ainsi prié toute en larmes trempée,
Elle approche du lict, & va tirant l'espée,
Judith, 13, 8
Qui pendoit au chevet du tyran ennemy,
Qu'un aggravé sommeil retenoit endormy,
1300 Et l'ayant en sa main d'une constance pie,
Elle prent les cheveux d'une teste aassoupie,
Judith, 13, 9
Criant à Dieu treshaut, je te pry' ceste fois
Exauce les souspirs de ma dolente voix,
Puis assenant son coup de la lame pointuë,
Judith, 13, 10
1305 Ayant frappé deux fois le tyran elle tuë,
Tranchant avec le fer tous les conduicts vitaux,
Qui de sang bouillonnant ouvrirent les canaux.
Il change son sommeil en la nuict eternelle,
Vomissant le venin de son ame cruelle,
1310 Qui s'en va recevoir le loyer de son mal,
Au gouffre tenebreux du manoir infernal.
Voila ce Roy vainqueur tant heureux à la guerre,
Qui de son seul regard faisoit trembler la terre,
Celuy qui avoit fait tant de cruels efforts,
1315 Nageant dessus son sang n'a que le tronc du corps,
Judith tenant le chef tout sanglant, & farouche,
L'enveloppe à l'instant d'un rideau de la couche :
Roullant ce corps hideux, comme un pesant tonnea,
{p. 150}
Qui de rouge liqueur fait un large ruisseau,
1320 Elle donne l'honneur le trophée, & la gloire
Au grand Dieu d'Israel aucteur de sa victoire,
Sortant du pavillon chargé de butin
Du chef d'Olofernes, chef jadis si mutin.
Voulant tost desloger appelle sa servante,
Judith, 13, 11
1325 Luy baillant à garder la despoüille sanglante,
L'ayant enveloppé au rideau precieux
Du lict où reposoit ce Roy delicieux :
Et sortant toutes deux, comme elle souloit faire,
Fermant doucement l'huys de l'occis adversaire.
1330 Traversant tout le camp qui dort en seureté,
Gaigna hastivement les murs de la cité :
Lors elle dit de loing aux gardes des murailles,
Ouvrez hastivement, car le Dieu des batailles,
Judith, 13, 13
A faict à ce jourd'huy vertu en Israel,
1335 Nous ostant du pouvoir de l'ennemy cruel.
Mais quand les citoyens ouyrent ces parolles,
Judith, 13, 14
Leurs cœurs tressaillent d'aise en leurs poictrines molles,
Huchans les anciens qui n'avoient plus d'espoir
Judith, 13, 15
Du retour de Judith, qu'ils ne pensoient plus voir.
1340 Ils s'assemblent trestous avec grands luminaire
Judith, 13, 16
De flambeaux allumez, qui rendent les nuicts claires,
S'en courent vers Judith, que chacun desiroit
De revoir, & d'ouir, ce qu'elle leur diroit.
Lors elle commanda que chacun fit silence,
1345 Addressant son parler à toute l'assistance.
Dit, louez ce grand Dieu qui tient pour ses amis
Judith, 13, 17
Ceux qui en sa bonté leur esperance ont mis,
Il s'est bien souvenu de sa misericorde,
Judith, 13, 18
Rompant de l'oiseleur les filez, & la corde,
1350 Lorsqu'il pensoit desja nous tenir en ses retz,
Mais lors le tout puissant nous en a delivrez,
{p. 151}
S'estant servy de moy sa treshumble servante,
Pour donner le repos de la paix abondante.
Louez donc ce grand Dieu, lequel en ceste nuict
1355 A occis par ma main le Roy dedans son lict :
Voicy, dit-elle lors, tirant l'horrible teste
Du rideau desployé, voicy nostre conqueste,
Voicy le pavillon, où il estoit couché,
Judith, 13, 19
Où le glaive de Dieu l'a justement touché.
1360 Ce puissant colonnel, ceste guerriere flamme
Pert la vie, & l'honneur, par les mains d'une femme :
L'Ange m'a deffendu en allant, & venant,
Judith, 13, 20
Contre nous ennemis mon ame gouvernant,
Avec ma nation le Seigneur m'a remise,
1365 Pour le remercier de mon humble entreprise,
Chantant son los sacré, puis qu'il daigne changer
En joyeuse asseurance un si triste danger.
Vous tous confessez donc sa bonté paternelle,
Judith, 13, 21
Et sa misericorde, & douceur eternelle,
1370 Ne soyez point ingrat oublians sa pitié,
Mais vous entretenez en sa saincte amitié.
Tout le peuple assemblé, qui entend la merveille
Judith, 13, 22
Benit du tout puissant la gloire nompareille.
Le prudent Ozias s'escrie hautement,
Judith, 13, 23
1375 Fille tu as receu la grace abondamment,
En sa saincte vertu tu es vrayment beniste,
Ayant vaincu par toy le chef de l'exercite :
Benit soit le haut Dieu, qui à crée de rien
Judith, 13, 24
Tout ce qui est compris en ce val terrien ;
1380 Il a muny ton cœur de force nompareille,
Pour monstrer aux humains ceste rare merveille.
Tes louanges seront escrittes desormais,
Et la grace de Dieu qui demeure à jamais,
C'est ce sainct mouvement qui t'a si bien poussée,
{p. 152}
1385 Mettant ce feu divin en ta chaste pensée,
Qui pour nous garentir du gouffre de noz maux,
Ne nous as espargné ta vie, & tes travaux.
Heureux fut ton conseil, heureux est ton vefvage,
Heureuse la beauté de ton plaisant visage,
1390 Et nous encore heureux en nostre nation,
Qui sommes honnorez de ta perfection.
Achior soit mandé, qu'il vienne recognoistre
Comme Dieu tout-puissant fait sa grace apparoistre.
Quand il fut arrivé estonné de ce bruict,
1395 D'un gracieux parler la vefve luy a dit :
Le grand triomphateur plein de force admirable,
Judith, 13, 27
Dont tu es le tesmoin fidelle, & veritable,
A tranché ceste nuict le chef des mescreans,
Voy son visage horrible, & ses cheveux sanglans,
1400 C'est ce fier contempteur de la gloire divine,
Qui pensoit subjuguer ceste ronde machine,
Il t'avoit condamné à mourir parmy nous,
Mais or' tu es sauvé du feu de son courroux.
Ce pauvre prisonnier esvanoüy de crainte
Judith, 13, 29
1405 Doutoit si c'estoit chose ou veritable, ou feinte,
De voir devant ses yeux un si estrange fait,
Le chef d'un tel guerrier qu'une femme a deffait,
Il n'a langue, n'y voix pour assez rendre graces
A Dieu qui l'a sauvé des cruelles menasses ;
1410 Il prend la saincte loy, & circoncit sa chair,
Judith, 14, 6
Estant receu de tous comme frere trescher.
Lors la chaste Judith, qui n'oublioit encore
Le triomphe asseuré, voyant venir l'aurore,
Leur dit, ô mes amis soyez tous asseurez
1415 D'estre ce jour heureux des dangers retirez,
Oubliez la terreur de la crainte servile,
Allez pendre ce chef sur le mur de la ville,
Judith, 14, 1 {p. 153}
Et quand le clair soleil aura doré les cieux,
Voulant recommencer son retour spacieux,
1420 Chacun prenne son arc, son espee, & sa lance,
Judith, 14, 2
Comme pour batailler rendez en ordonnance,
Feignant d'aller trouver ces Payens orgueilleux,
Reveillans leurs esprits du repos sommeilleux,
Sans toutesfois quiter le pied de la muraille,
1425 Jusques à ce que verrez fuyr ceste canaille.
Le jour estant venu les corps de garde oyans,
Les cliquetans harnois, & les cris effrayans,
Crians en c'est effroy, alarme, alarme viste,
Troublent tout à l'instant le payen exercite.
1430 L'un à demy dormant, qui roufloit à l'envers
Prenant son corselet l'attache de travers :
L'autre cerche son arc prenant pour sa cuirasse
Celle de son voisin qui a perdu la Masse,
Son brassal, son escu, demeurant en pourpoinct :
1435 Les autres plus accordz se pensent mettre en poinct,
Montans sur leurs chevaux n'ayans seelle, ny bride,
Et vont courant la part que la fureur les guide.
Le camp tout esveillé envoye ses clameurs
Dedans les pavillons des Princes, & Seigneurs,
Judith, 14, 9
1440 Qui se mocquent du bruit de la folle merveille
Attendans qu'a propos, Olofernes s'esveille,
Car on n'osoit jamais à l'huis Royal heurter,
Judith, 14, 10
Tant ce cruel tyran se faisoit respecter.
Mais oyant le grand bruit qui tousjours se renforce,
1445 Vage tousjours criant, disant : il est bien force
D'esveiller le Seigneur voyant que les souris
Judith, 14, 12
Sortans de leur cachot contrefont les hardis.
Vage tout à l'instant va frapper à la porte,
Une, deux, & trois fois, enfin d'une main forte
1450 Il redouble ses coups faisant sauter le gond,
{p. 154}
Estant tout esbahy de ce sommeil profond.
Mais quand il fut entré dedans le tabernacle,
Voyant devant ses yeux l'effroyable spectacle,
Le tronq du corps meurtry ayant perdu le chef,
Judith, 14, 14
1455 Il ne peut exprimer ce douloureux meschef.
Lors il romp ses habits, esgratigne sa face,
Laschant tant de sanglotz qu'il semble qu'il trespasse,
Arrachant ses cheveux, cryant d'un grand effroy,
Qu'il veut ores mourir ayant perdu son Roy.
1460 Il entre tout soudain à la prochaine tente,
Judith, 14, 15
Où il pensoit trouver la vefve triomphante,
Mais ne la trouvant point il sort tout enragé
Publier la douleur dont son cœur est chargé.
O desastre, ô malheur, une femme cruelle,
1465 Une esclave Judith remplie de cautelle
Judith, 14, 16
A tué mon Seigneur, dompteur de l'Univers,
Il est dedans son lict gisant tout à l'envers
Moüillant dedans son sang n'ayant teste, ny vie,
Par la main d'une femme honteusement ravie.
1470 Monarque Assirien tu as ores perdu,
Le Prince qui avoit ton sceptre deffendu,
Qui guidant une armée ou sur terre, ou navalle,
Fit redouter tousjours ta couronne royalle.
Helas pourroi-je bien survivre apres mon Roy,
1475 Voyant apres sa mort son peuple en desarroy ?
L'on n'entend par le camp, que cris, sanglotz, & larmes,
Le courage à failly aux plus hardis gendarmes,
Ceste nouvelle peur joincte aux effrois premiers
Fit perdre tout le cœur à ces braves guerriers,
1480 Quittans en un moment escus, lances, & piques,
Corseletz, morions, cymeterres antiques,
Et prenans effrayez la fuitte de ce pas,
Pour eschapper la mort qui talonnoit leur pas.
{p. 155}
Les assiegez vainqueurs espris d'extreme joie,
1485 D'un courage indompté descendent par la voye
Avec le fer vainqueur tuans, & meurtrissans
Ceux qui auparavant les alloient menassans.
Leurs traitz sont descochez aux espaulles fuiardes,
Ou le fer outrageux se fiche jusque aux gardes,
1490 Ils vont s'entrepoussans, & vont fuyans si fort,
Que l'haleine leur faut trebuschans à la mort.
Tout ainsi que l'on voit es plus hautes montaignes
Un loup bien affamé courant par les campaignes,
Esgorgeant les troupeaux des griffes, & des dents,
1495 Tuant tout ce qu'il voit devant ses yeux ardents,
Sans qu'on puisse opposer deffense qui empesche,
Où puisse retarder sa sanglante despeche :
Les uns pour eschapper la fureur de l'estoc
Rampans des piedz, & mains, vont escheller un roc,
1500 Puis s'eslancent soudain de ses plus hautes cimes,
Cerchans leur sepulture aux profondes abismes.
Les autres recevans le glaive dans leur flanc
Tombent emmy le camp empourpré de leur sang :
Mais si quelque fuyard se sauve de vistesse
1505 Eschappant pour ce coup la fureur de la presse,
Il n'a meilleur marché rencontrant les soldatz,
Qui tenoient le chemin fermé de toutes partz.
Heureux est celuy-là, qui sans que l'on le suive
Porte de ce malheur la nouvelle à Ninive.
1510 Adonc dedans leur ville assemblez les Hebrieux,
Et leurs circonvoisins sortent tous glorieux,
Afin de contempler la divine vengeance,
Que Dieu faisoit sentir à ceste fiere engeance :
Car le camp est jonché de piedz testes, & bras,
1515 De corps qui penteloient aux abbois du trespas :
D'autres tous deschirez dont les playes ouvertes,
{p. 156}
De leur sang bouillonnant taignent les herbes vertes.
Car de ce dur conflit le triomphe fut tel,
Qu'il appartenoit seul au Seigneur immortel.
1520 Le butin infiny, les despoüilles des tentes,
Les monceaux pretieux des choses excellentes
Judith, 15, 7
Ne se pourroit nombrer, non plus que les troupeaux
Judith, 15, 8
Des chevaux, & brebis, genisses, & toreaux,
Chariotz diaprés, riche tapisserie,
1525 Coupes, & vases d'or garnis de pierrerie,
Tellement qu'en ce jour du grand jusque au petit,
D'un si riche butin chascun se resjouit :
Dans le camp ennemy cependant que l'on foüille,
Des riches pavillons la superbe despouille :
1530 On rencontre le corps du Roy decapité,
Qui difforme, & sanglant fut à l'instant jetté
Dedans quelque voyrie sale, & separée,
Afin que les courbeaux en facent leur curée.
Voyla cil qui pensoit eslever jusqu'aux cieux
1535 Le bruit de son honneur d'un vol audacieux.
Le conflit achevé, la victoire accomplie,
Le peuple triomphant retourne en Bethulie,
Où le bon Joachin le grand Prestre de Dieu,
Judith, 15, 9
Et tous les Sacerdos de l'humble peuple Hebrieu
1540 S'estoient ja assemblez à fin de recognoistre
Les divines saveurs, & bien-faits de leur maistre,
Desirans veoir Judith, qui a leur grand besoin,
Par le vouloir de Dieu vainquit le glaive au poing :
Le bruit estoit si grand parmy la troupe espesse ;
1545 Et les cris redoublez de joyeuse allegresse,
Que le peuple assemblé la louange, & la voix
Faisoit naistre un Echo dedans le prochain bois.

F I N.

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